Cliquer sur les photos et les cartes pour les agrandir
Dès le retour de Shackleton en juin 1909, la Royal Géographical Society comprend que l'heure est venue pour l'Angleterre de conquérir le Pôle Sud. Il suffit pour cela d'envoyer une expédition qui n'aura qu'à mettre ses pas dans ceux de Shackleton. L'Américain Peary vient d'arriver au Pôle Nord et il n'y a donc pas de temps à perdre. Dès septembre 1909, une nouvelle expédition, dirigée par Scott, est annoncée pour un départ à l'été 1910.
Les Anglais en marche vers le Pôle. De G à D: Edgar Evans, Oates, Wilson et Scott. Photo prise par Bowers, qui n'avait pas de skis, peu avant leur arrivée au Pôle, sans doute le 14 ou 15 janvier 1912.
Il apparaît rapidement que le problème central concerne les moyens de transport des vivres et équipements dont l'insuffisance avait causé l'échec de Shackleton deux ans plus tôt. Que fallait-il prendre ? Des voitures à chenilles, des poneys, des chiens ou un ensemble de moyens différents ?
Scott se rend à Oslo pour y rencontrer Nansen. Celui-ci émet de sérieux doutes sur l'efficacité des voitures et des poneys et conseille à Scott d'emmener des chiens et des skis. Mais Scott ne suivra pas ce conseil, il partira avec des poneys, des voitures et quelques chiens alors que l'expédition du Nimrod avait clairement montré que les poneys et les voitures n'étaient pas adaptés à un long parcours sur la neige et la glace. L'obstination des Anglais à ne pas vouloir utiliser de chiens en Antarctique sera la cause principale de leur échec.
Lawrence Oates était chargé de s'occuper des poneys à bord de la Terra Nova durant le voyage vers la baie de McMurdo.
Le Terra Nova
La Terra Nova, navire de l'expédition, quitte l'Angleterre le 15 juin 1910. Il s'agit d'un vieux bateau propulsé par une machine à vapeur alimentée au charbon comme l'était le Fram 20 ans auparavant lors de la dérive de Nansen. Mais, en 1910, pour l'expédition en Antarctique, le Fram était équipé d'un moteur Diesel de 220CV beaucoup plus performant.
L'expédition est lourde car elle a un important programme scientifique. Outre la conquête du Pôle Sud, il est prévu un voyage d'hiver au cap Crozier, deux longs voyages d'exploration sur la Terre Victoria et une grande expédition sur la Terre du Roi Edouard VII. L'escouade qui sera débarquée et hivernera dans la baie de McMurdo comprend 33 hommes en plus des 32 membres de l'équipage du navire. A titre de comparaison, on se souvient que 9 Norvégiens seulement ont été débarqués dans la baie des Baleines.
Le navire est surchargé car il est trop petit pour un tel voyage. En plus de la nourriture et des équipements nécessaires pour permettre à une trentaine d'hommes de vivre et voyager en Antarctique, la Terra Nova emporte 3 voitures équipées de chenilles, 19 poneys et seulement 34 chiens.
Le voyage vers la Nouvelle Zélande n'est pas une promenade tranquille car le navire prend l'eau. Les hommes passent plusieurs heures chaque jour à pomper les cales envahies par l'eau. La poussière de charbon envahit tout et bouche les pompes ce qui n'arrange rien. (Dans son livre, Cherry-Garrard donne des détails révélateurs sur ces séances de pompage et sur l'état du navire. Cf bibliographie).
Débarquement d'une des voitures à chenilles au cap Evans. Janvier 1911.
Débarquement d'un poney au cap Evans. Janvier 1911.
Scott rejoint le navire au Cap au début de septembre et le 12 octobre, lors d'une relache à Melbourne, il prend connaissance du fameux télégramme envoyé par Amundsen depuis Madère.
La Terra Nova arrive à Lyttelton en Nouvelle-Zélande le 28 octobre et va y demeurer un mois car le bateau doit passer en cale sèche pour colmater les brèches de sa coque.
Il est tout à fait surprenant que la marine anglaise, qui était en 1910 la première du monde, embarque une grande expédition nationale commandée par un officier de la Royal Navy sur un vieux bateau hors d'état pour naviguer sur les mers les plus difficiles du monde avant d'affronter les glaces antarctiques.
L'expédition quitte la Nouvelle Zélande le 27 novembre. Quelques jours plus tard, une violente tempête frappe le navire. Celui-ci continue à prendre l'eau et les pompes ne parvenant plus à rejeter l'eau embarquée, l'équipage doit écoper avec des seaux. 2 poneys sont morts; 2 chiens, 300l de pétrole et diverses caisses mal arrimées sont emportés par les vagues tandis qu'un troisième chien est étranglé par sa chaîne. Malgré cela, la Terra Nova entre dans la baie de McMurdo le 4 janvier 1911.
A l'ouest, la côte de la Terre Victoria, au centre la baie de McMurdo fermée au sud par la Barrière de Ross. Au sud-est, la Barrière de Ross termine sa course contre le flanc sud de l'Erebus et du Terror. Les camps des expéditions anglaises de Scott et Shackleton sont situés sur la côte sud-ouest de l'île Ross. Le cap Crozier forme l'extrémité est de l'île Ross.
La côte sud-ouest de l'île Ross, le Mont Erebus et la baie de McMurdo. Noter le camp de Hut Point (Scott et La Discovery 1902), le camp du cap Evans (Scott et La Terra Nova 1911) et le camp du cap Royds (Shackleton et le Nimrod 1908).
Scott choisit un emplacement de camp au cap Evans car l'état des glaces ne permet pas d'aller plus au sud et de rejoindre Hut Point où l'expédition de la Discovery avait établi ses quartiers d'hiver en 1902. Scott et ses compagnons commencent à installer leurs quartiers d'hiver. A la fin du mois, la hutte est terminée mais au cours du débarquement, une des trois voitures est engloutie suite à la rupture d'une plaque de glace.
Le 26 janvier 1911, Scott part établir un important dépôt avec des poneys et des chiens. Ce sera “One Ton dépôt” à 79°30' dont on reparlera. Il découvre alors que les poneys enfoncent profondément dans la neige et ne supportent pas le blizzard. Au cours de ce voyage, 7 poneys seront perdus. Le départ pour le Pôle devra être retardé car les poneys ne pourront pas partir avant la fin du mois d'octobre au plus tôt à cause du froid et du blizzard.
Débarquement des bottes de foin pour les poneys au cap Evans Janvier 1911
Le 22 février, pendant ce voyage, Scott apprend par une lettre de Campbell apportée par un courrier qu'Amundsen est installé à la baie des Baleines avec une centaine de chiens !
Installation de la hutte d'hivernage - 23 janvier 1911
Ce jour là, le carnet de route de Scott montre très clairement que celui-ci a pris conscience des faiblesses de son expédition et des menaces qu'Amundsen lui fait courir. Il écrit : “Certes, Amundsen est un concurrent sérieux et sabase se trouve de 100km plus rapprochée du Pôle que la nôtre! Non, jamais, en vérité, je n'aurais cru possible d'amener autant de chiens et en bon état dans l'Antarctique. “ (Amundsen avait précisément 116 chiens). Le programme de l'explorateurnorvégien me paraît excellent, et sa meute lui donne sur nous cet avantage capital de pouvoir commencer son voyage dès le début de la saison, alors que les poneys nous obligeront à partir plus tard”.
Tout est dit!
L'hivernage débute fin mars. La hutte est confortable et les jours s'écoulent paisiblement. C'est au coeur de l'hiver que va se dérouler le fabuleux voyage au cap Crozier.
La hutte d'hivernage pendant l'hiver 1911.
Dîner de l'anniversaire de Scott (43ans) - 6 juin 1911.
Le cuisinier Clissold au travail - 23 mars 1911.
Dans le dortoir de la hutte. De G à D : Cherry-Garrard, Bowers, Oates et Meares.
La fête du Midwinter Day - 22 juin 1911.
Le voyage d'hiver au cap Crozier 27 juin - 1ér août 1911
Manchots empereurs au cap Crozier lors de l'expédition de la Discovery en 1903.
Depuis 1903 et l'expédition de la Discovery, les Anglais connaissaient l'existence d'une roquerie de manchots empereurs au cap Crozier où ils avaient effectué trois reconnaissances depuis leur camp de la Discovery (Voir sur ce site l'article sur cette expédition).
Les manchots sont totalement absents de l'hémisphère Nord et vivent dans les îles subantarctiques (Géorgie du Sud, Crozet, Heard etc...), quelques colonies étant installées sur la côte du continent antarctique. Ces régions sont très peu fréquentées de sorte qu'on ne savait pas grand chose des manchots en ce début de 20ème siècle. Étaient-ce des oiseaux ou des poissons ?
Pour le savoir, il fallait examiner leurs œufs en laboratoire et donc se procurer des œufs.
Oui mais voilà, lors d'une visite au cap Crozier en octobre 1902, Wilson, compagnon de Scott, avait découvert avec stupéfaction que les manchots empereurs pondent et couvent leurs oeufs en plein hiver antarctique, par des températures inimaginables et des blizzards délirants. Incroyable mais vrai !
Quand l'expédition de Scott a quitté l'Angleterre, elle était chargée de nombreuses taches scientifiques dont une provenant du National History Museum demandant qu'on lui ramène des oeufs de manchots empereurs. Les quartiers d'hiver de l'expédition de 1911 sont situés au cap Evans, à 100km de la roquerie du cap Crozier, mais qu'importe, on ira chercher les oeufs puisque la science en a besoin !
Les 3 oeufs de manchot empereur photographiés à Londres en 1913.
C'est ainsi que le 27 juin 1911, au coeur de l'hiver antarctique, une équipe composée de Apsley Cherry-Garrard, Birdie Bowers et Edward Wilson entreprend un des voyages les plus hallucinants qui ait jamais été effectué, dans le seul but de ramener des oeufs de manchot empereur pour la science !
Henry "Birdie" Bowers
Apsley Cherry-Garrard
Edward Wilson
Bowers, Wilson et Cherry-Garrard de G à D, photographiés au départ du voyage d'hiver - 27 juin 1911.
En plus du vent de force 11 “Pour ne pas dire 12” comme l'écrit Bowers dans son journal et des températures qui descendent au-dessous de -60°C (moins soixante), il y a deux autres petits ennuis. Le terrain tout d'abord. Le trajet se déroule là où la Barrière de Ross vient finir sa course sur les flancs du volcan Erebus dans un chaos de crevasses et de glaces de pression qui manque de peu à plusieurs reprises d'engloutir toute l'équipe. Enfin, last but not least, nous sommes en plein hiver antarctique, par 78° de latitude, et le voyage se déroule donc intégralement dans une obscurité totale !
On ne sera pas étonné qu'il n'existe aucune photo de ce voyage mythique.
Le trajet aller-retour, soit plus de 200km, dure 5 semaines y compris les nuits passées au voisinage de la roquerie pour trouver les manchots et récupérer leurs oeufs. L'équipe regagne ses quartiers d'hiver le 1ér août 1911 avec 3 oeufs de manchot empereur ramenés intacts. Deux ans plus tard, au cours d'une scène cocasse, Cherry-Garrard se présentera à la porte du Muséum de Londres porteur des oeufs les plus célèbres de toute l'Angleterre. Mais le plus extraordinaire de cette histoire est simplement que les trois compères soient rentrés vivants d'une telle aventure.
Il n'est pas interdit de penser que Scott a commis une faute grave en autorisant, organisant et ordonnant, pour un motif futile, un voyage dont les trois participants avaient toutes les chances de ne jamais revenir !
Wilson, Bowers et Cherry-Garrard lors de leur retour à la hutte du cap Evans - 1ér août 1911.
Par la suite, Bowers et Wilson ayant perdu la vie avec Scott en mars 1912, lors de leur retour du Pôle, Cherry-Garrard est demeuré le seul survivant de ce voyage délirant au pays des manchots. Son récit, sobre, réaliste, respectueux de ses compagnons, d'un flegme et d'un humour très british, conduit le lecteur entre la terreur, le rire et l'admiration. Ceux et celles qui s'intéressent aux voyages polaires ne manqueront pas la lecture en anglais ou en français de ce monument du récit d'aventure qu'il est évidemment impossible de reproduire ici (Cf la bibliographie).
Le raid vers le Pôle Sud 1er novembre 1911 - 29 mars 1912
Le départ pour le Pôle a lieu le 1er novembre 1911, jour où Amundsen, parti le 19 octobre, a déjà parcouru 400km. L'expédition est lourde: 16 hommes répartis en 5 groupes, 10 poneys et 2 voitures.
Pour la clarté du récit, noter que 2 hommes qui joueront un rôle important dans ce voyage portent le même nom de Evans. Il s'agit de Edgar Evans, sous-oficier de marine qui accompagnera Scott au Pôle Sud et décèdera au retour et du Lieutenant Edward Evans dit Teddy Evans, officier de marine et commandant en second de l'expédition, qui formait avec Crean et Lashly l'escouade de soutien qui regagna McMurdo. (Voir plus loin le récit de ce retour épique au cours duquel Teddy Evans fut sauvé de la mort par ses deux compagnons).
Camp sur la barrière de Ross. Un mur de neige est construit pour protéger les poneys qui ne supportent pas le blizzard - Novembre 1911.
Ils sont tous équipés de skis. Deux jours après le départ, un problème de surchauffe des moteurs oblige l'expédition à abandonner les deux voitures qui ont cassé un cylindre. Deux hommes regagnent le camp du cap Evans.
Avec l'aide des poneys et des chiens, le début est assez rapide, ils sont à 80° le 17 novembre, jour où Amundsen entreprend l'ascension des montagnes Transantarctiques à 85°. Le 24 novembre les Anglais abattent le premier poney pour nourrir les chiens et atteignent les parties basses du glacier Beardmore le 2 décembre.
Ils sont à 600km de leur camp mais une violente tempête les bloque 4 jours ce qui les oblige à manger des vivres prévus pour le retour.
Le 9 décembre, ils abattent tous les poneys et 2 jours après, Scott renvoie les chiens avec 2 hommes. A partir du 11 décembre, alors qu'ils ne sont encore qu'à mi-chemin de leur voyage vers le Pôle, ils ne disposeront donc plus d'aucun moyen de transport pour tirer leurs traîneaux.
Le 14 décembre, l'expédition est sur le glacier Beardmore à 84° quand Amundsen arrive au Pôle. Le 21 décembre, ils sont à 85° où Scott renvoie encore 4 hommes. Il reste 8 hommes avec des vivres pour 6 semaines, Scott est serein.
Camp sur le glacier Beardmore - 14 décembre 1911
Le camp du dépôt des 3 degrés, à 87° de latitude. Décembre 1911.
Ils progressent sur le plateau polaire et sont à 87°30' le 3 janvier 1912, jour où Scott prend une décision lourde de conséquences.
Il y a 2 escouades de 4 hommes, chacune ayant ses vivres. La première, qui doit aller au Pôle, est composée de Scott, Wilson, Oates et Edgar Evans. La seconde qui doit rentrer au camp est formée du Lieutenant Evans, Bowers, Lashly et Crean. Mais au dernier moment, Scott décide de garder Bowers avec lui et de ne renvoyer que 3 hommes.
Funeste décision pour au moins 3 raisons :
Tout d'abord des vivres et du pétrole déjà insuffisants pour 4 hommes ne pourront pas en nourrir 5.
Ensuite, Scott dispose de tentes pour 4 hommes et de 4 paires de skis. Son choix va diminuer le confort dans les tentes et surtout, contraindre le cinquième homme, Bowers, à progresser à pied en tractant un traîneau au milieu de 4 compagnons à skis.
Enfin, renvoyer un groupe de 3 hommes seulement sur un parcours de 1000km était très risqué en cas d'accident ou de maladie. Le retour dramatique de l'équipe Lashly, Crean, Edward Evans va le démontrer.
Le Mont Kiffen sur le glacier de Beardmore.
Cette grave décision de Scott a fait l'objet de nombreux débats parmi les historiens polaires. Diverses hypothèses ont été avancées sans qu'il soit possible de comprendre clairement les raisons de ce choix. A la date du 3 janvier 1912, Scott écrit simplement dans son carnet de route : “La nuit dernière, j'ai décidé une réorganisation de la caravane” sans aucun autre détail. Ce point d'histoire qui a contribué à la catastrophe finale ne sera jamais élucidé.
Les Anglais au Pôle Sud devant la tente d'Amundsen surmontée du drapeau norvégien. De G à D : Scott, Oates, Wilson et Edgar Evans. Photo prise par Henry Bowers le 18 janvier 1912.
Le 4 janvier 1912, Scott et ses 4 équipiers, Edgar Evans, Oates, Wilson et Bowers, s'élancent vers le sud pour gagner le Pôle situé encore à 300km. Le même jour, Crean, Lashly et le lieutenant Evans mettent le cap au nord pour regagner leurs quartiers d'hiver situés à plus de 1000km (Voir plus loin le récit de ce retour qui a frôlé le désastre).
Le 9 janvier, Scott et ses compagnons atteignent la latitude de 88°25' , à l'endroit où Shackleton a fait demi-tour le même jour, 3 ans auparavant. L'expédition poursuit vers le sud et campe à 40km du Pôle le 15 janvier. Mais le lendemain, vers midi, Bowers aperçoit un point noir sur l'immensité blanche du plateau polaire. Dans l'après midi, il apparaît qu'il s'agit d'un pavillon noir.
Scott et ses compagnons ont compris, Amundsen est arrivé avant eux et ils ont perdu la course au Pôle. Le 18 janvier, ils sont devant la tente d'Amundsen surmontée du drapeau norvégien. Amundsen est à 900km et fonce vers Framheim. Il faut admirer la précision des relevés astronomiques de Scott et d'Amundsen. Les Norvégiens ont planté leur tente exactement au Pôle et Scott est arrivé droit sur la tente au milieu du plateau polaire, sans le moindre point de repère à 400km à la ronde. Encore mieux que la fameuse aiguille dans la botte de foin, et le tout sans GPS évidemment !
Les Anglais plantent l'Union Jack, prennent les documents laissés à leur intention par Amundsen et, le 19 janvier, repartent vers le nord. La suite des évènements va expliquer pourquoi il n'existe hélas aucune photo de leur retour.
Les Anglais au Pôle Sud le 18 janvier 1912, photographiés avec un retardateur. Leurs visages sont marqués par la fatigue. Debout, de G à D: Edgar Evans, Scott et Oates; assis: Bowers et Wilson.
Au Pôle Sud, le 18janvier 1912. De G à D: Wilson, Scott, Oates, Edgar Evans et Bowers.
Edgar Evans est affaibli par des gelures au visage et aux doigts tandis que Oates a les pieds gelés. Le 24 janvier, Amundsen arrive à Framheim et les Anglais sont à 1200km de leur base. A la fin du mois, à 87°, Wilson a une jambe malade et ne peut plus tirer le traîneau. Au début de février, Edgar Evans s'affaiblit de plus en plus, ses doigts sont gelés, il a des ampoules partout, ses ongles tombent mais Wilson est guéri. Ils commencent à descendre le glacier Beardmore alors que Edgar Evans, très abattu, a des crevasses sur le visage et souffre beaucoup. Le 7 février, ils trouvent le dépôt du 85°30' qui contient beaucoup moins que prévu.
Le lendemain, alors que Wilson est transi, Edgar Evans mourant et les vivres très insuffisants, Scott écrit dans son carnet de route: “Nous nous dirigeons vers la moraine qui est très intéressante; aussi, le vent s'étant apaisé, je décide de camper et de passer le reste de la journée à faire de la géologie”. Est-il possible d'être plus inconscient ?
3 jours plus tard, ils errent dans les crevasses du glacier Beardmore, perdent du temps, n'arrivent toujours pas à leur dépôt du 84° et sont affamés. Edgar Evans agonise. Il a une énorme ampoule au pied et marche de plus en plus mal. Le 17 février, il commence à délirer, s'évanouit et perd connaissance. Dans la tente il est dans le coma et mourra dans la soirée au bas du glacier Beardmore.
A partir du 20 février, ils progressent très lentement. La saison avance, les températures baissent, ce qui est d'autant plus grave que le dépôt du 83° ne contient que très peu de pétrole et, sans pétrole, pas d'eau et pas de vie. Les températures descendent à -40°, ils sont assez bien nourris mais les faibles quantités de pétrole ne permettent plus qu'un seul repas chaud. Sans boisson chaude, ils se déshydratent ce qui accroît les gelures.
Au début de mars 1912, ils n'arrivent plus à avancer, ce qui est grave par -40°. Oates a les orteils gelés et l'avenir s'annonce très sombre. Ils ont des vivres mais l'absence de pétrole est catastrophique.
Edgar Evans (G) et Thomas Crean (D). Celui-ci réussira avec Lashly à ramener Teddy Evans vivant aux quartiers d'hiver de McMurdo.
Titus Oates
Le 4 mars, Oates est à bout de forces et retarde une progression déjà très lente. 2 jours plus tard, ils gagnent le dépôt de 81° où les rations sont faibles et le pétrole insignifiant. Oates ne peut plus marcher et ils comprennent tous qu'ils ne s'en sortiront pas. Ce 7 mars 1912, Amundsen arrive en Nouvelle Zélande.
Le 11 mars, Scott ordonne au docteur Wilson de distribuer à chacun de quoi mettre fin à ses jours quand il estimera le moment venu. Ils sont à 100km du One Ton Dépôt, ils ont 7 jours de vivres, mais ne progressent plus que de 10km/jour au mieux. Dans ces conditions, Oates demande qu'on l'abandonne dans son sac, ses compagnons refusent. Le lendemain matin, Oates se réveille et sort de la tente en disant “Je sors et serai peut-être dehors quelques temps”. Il disparait dans le blizzard et nul ne l'a jamais revu.
Le 19 mars, à 28km seulement de One Ton, ils ont tous de graves gelures et ne peuvent plus boire, la fin est proche. A partir du 22 mars, à 18km de One Ton, le blizzard empêche tout déplacement, il fait -40°, c'est la fin pour Scott, Bowers et Wilson qui décèderont probablement le 29 mars 1912 d'après les lettres datées laissées par Scott dans sa tente.
Avant de mourir, Scott écrit de nombreuses lettres à sa femme, à l'épouse de Wilson, à la mère de Bowers, à plusieurs amiraux et un célèbre “Message au public” dans lequel il justifie tous ses choix, affirmant que seule une invraisemblable malchance a conduit à ce désastre. Jusqu'à la fin, il n'a jamais admis que seule une succession d'erreurs est à l'origine de cette tragédie.
Le 26 février, Cherry-Garrard quittait le camp de la Hutte vers le sud avec 24 jours de vivres et des chiens pour faciliter le retour de Scott. Le 4 mars, il était à One Ton Dépôt où il a laissé des vivres puis il est revenu au camp tandis que Scott agonisait non loin de là. Mais Cherry-Garrard ne le savait pas. La Terra Nova, arrivée au début de février repart le 8 mars 1912. Atkinson et Cherry-Garrard pensent que le groupe de Scott est perdu et vont devoir faire un second hivernage.
En novembre 1912, plusieurs groupes dirigés par Atkinson et Cherry-Garrard partent vers le sud à la recherche des restes de l'expédition.
Le cairn et la croix élevés en novembre 1912 à l'emplacement de la tente où les corps de Scott, Bowers et Wilson ont été retrouvés.
Le 12 novembre 1912, ils découvrent la tente de Scott encore dressée et les 3 corps à l'intérieur. Par une chance à peine croyable, tous les documents, notamment le carnet de route de Scott, les rouleaux photographiques Kodak et la lettre d'Amundsen sont retrouvés intacts. Ainsi, la tente montée par Scott et ses deux compagnons en mars a résisté pendant 8 mois aux blizzards antarctiques ce qui a permis de connaître toute l'histoire du voyage au Pôle.
Un cairn de neige surmonté d'une croix est élevé à l'emplacement de la tente puis les groupes de recherche regagnent le cap Evans. En janvier 1913, la Terra Nova revient chercher les survivants et arrive en Nouvelle Zélande le 10 février 1913. Le monde entier apprend alors la fin de l'expédition au Pôle.
Le retour de l'équipe de soutien 4 janvier - 22 février 1912
Le 4 janvier 1912 à la latitude de 87°32', Scott et ses 4 coéquipiers mettent le cap au sud pour atteindre le Pôle distant de 280km. Le même jour, William Lashly, Thomas Crean et le lieutenant Edward Evans qui est commandant en second de l'expédition ,s'élancent vers le nord pour regagner leur base. Le retour de cette équipe de 3 hommes tractant leur traîneau sur une distance de 1000km ne va pas être une promenade de santé. Noter que ce retour est très semblable à celui effectué par Shackleton 3 ans plus tôt sensiblement du même endroit à la même date.
L'équipe Evans devra être rapide car elle a peu de vivres et rencontrera des dépôts éloignés et peu abondants.
Evans et ses compagnons démarrent vite, poussés par un vent du sud qui avait déjà profité à Shackleton en 1909. Le 6 janvier, au dépôt de 87°, ils prennent des vivres pour 1 semaine mais le dépôt suivant est à 215km ce qui les oblige à progresser de 30km/jour. Crean et Evans commencent à souffrir d'ophtalmie et le moindre incident serait catastrophique.
A partir du 8 janvier, le blizzard survient pendant 3 jours avant que l'équipe traverse une zone très crevassée. Ils commencent à compter les biscuits et parviennent à leur dépôt le 14 janvier alors qu'ils n'ont plus rien à manger et doivent faire des efforts importants.
Thomas Crean Edward Evans William Lashly
Le lieutenant Edward Teddy Evans
Evans souffre des yeux et à partir du 17 janvier l'équipe traverse des crêtes de pression en descendant le glacier Beardmore, frôle le désastre au milieu des crevasses mais parvient malgré tout à rejoindre son dépôt le 18 janvier. Le 20 janvier, Evans est complètement aveugle mais ils progressent cependant de 36km et le 22 janvier, ils sont en bas du glacier Beardmore où ils trouvent un important dépôt de vivres.
Ce même 22 janvier, Evans se plaint de raideur aux genoux et de douleurs aux gencives, symptômes caractéristiques du scorbut. Pendant une semaine, ils avancent d'environ 25km/jour malgré l'état d'Evans qui souffre de diarrhées ce qui oblige le groupe à s'arrêter plusieurs fois chaque jour. A la fin du mois de janvier, Evans va de plus en plus mal et il souffre beaucoup.
Ses compagnons doivent le mettre sur ses skis et les attacher car il ne peut plus lever les jambes. Le 4 février, ils atteignent l'avant dernier dépôt alors que leur camp est encore à 330km. Le 8 février, Evans commence à perdre du sang et ne peut plus rien faire mais le lendemain, l'escouade rejoint le One Ton dépôt qui est leur dernier point de ravitaillement avant le camp de Hut Point à 220km.
Le 13 février, Evans doit être chargé sur le traîneau tiré par Crean et Lashly qui ne progressent plus que lentement.
Le 18 février, Evans est évanoui. Ses compagnons pensent qu'il est mort mais parviennent à le ranimer avec de l'eau-de-vie ! Ils sont à 55km de Hut Point et comprennent qu'ils ne pourront pas ramener Evans vivant à leur camp car ils n'ont plus assez de vivres. Evans demande qu'on l'abandonne mais ils refusent et décident d'aller chercher du secours à Hut Point. Lashly et Crean s'accordent pour que Lashly reste auprès de Evans tandis que Crean partira seul vers Hut Point chercher de l'aide. C'est un risque considérable car si Crean tombe dans une crevasse, ils mourront tous les trois.
Le problème des vivres est critique; il ne reste qu'une journée de provisions et quelques biscuits de sorte que Crean doit gagner Hut Point dans les 24h, avoir la chance d'y trouver du secours et revenir auprès d'Evans le plus vite possible avec des vivres. S'il n'y parvient pas, Evans, Lashly et sans doute lui -même sont perdus.
Ce jour là, l'erreur de Scott qui a réduit l'équipe de retour à 3 hommes est clairement mise en évidence.
Thomas Crean
William Lashly
Crean emporte quelques biscuits, un peu de chocolat et ne prend rien à boire car c'est trop encombrant. Le 18 février à 10h du matin, il file vers Hut Point. Il y parvient en 24h de marche ininterrompue sur un terrain crevassé et, par chance, trouve Atkinson et Demitri avec un attelage de chiens ! Crean, Atkinson et Demitri repartent aussitôt chercher Evans mourant, lui apportent des vivres et le ramènent vivant à son camp. Par la suite, Evans se rétablira tandis que Lashly et Crean seront décorés pour lui avoir sauvé la vie.
Noter que Thomas Crean s'illustrera à nouveau 4 ans plus tard avec Shackleton au cours de la célèbre expédition de l'Endurance. Il était à bord du James Caird lors du voyage de l'île de l'Éléphant à la Géorgie du Sud et c'est lui qui a accompagné Shackleton et Worsley dans la traversée de la Géorgie du Sud pour aller, une fois encore, chercher du secours sur la côte nord de l'île. Et ils y sont parvenus !
L'expédition vers le Nord 25 Janvier 1911 - 18 Mars 1913
Carte montrant les sites de la première mission: la baie de McMurdo, la baie des Baleines (Bay of Whales) et la Terre du Roi Edouard VII à l'Est de McMurdo ainsi que la Terre Victoria à l'Ouest de McMurdo.
Attention à l'orientation de cette carte. Le Sud est en haut de la feuille et donc l'est est à GAUCHE et l'ouest est à DROITE
L'expédition vers le nord était composée de 6 hommes chargés de deux missions bien distinctes. L'équipe était formée de G.P. Abbott, F.V. Browning, Victor Campbell, chef du groupe, H. Dickason, Murray Levick et Raymond Priestley, géologue et ancien de l'expédition du Nimrod.
L'expédition du Nord devant la hutte de la baie Robertson. De G à D, debout: Abbott, Dickason et Browning; assis : Priestley, Campbell et Levick.
La première mission consistait à se diriger à l'est de McMurdo afin d'examiner, sonder et photographier le front de la Barrière de Ross jusqu'à la Terre du Roi Édouard VII (Cf carte ci-dessus). Éventuellement, débarquer sur la côte, mais Scott et les Anglais savaient que celle-ci était très accidentée et qu'il serait difficile de trouver un endroit permettant à la Terra Nova d'accoster. En fait, le seul accostage possible était situé à la baie des Baleines où Amundsen était déjà installé mais Scott ignorait encore où se trouvait Amundsen. Il n'allait pas tarder à l'apprendre !
Carte montrant les sites de la seconde mission. Au Nord, le cap Adare, la baie Robertson et le cap North. A l'ouest, le plateau de la Terre Victoria. Au sud, la baie de McMurdo et le cap Evans. Au centre, l'Ice Tongue Drygalski, l'Ice Tongue Nordenskjöld et la baie de la Terra Nova. Les chiffres 1 et 2 marquent les sites des deux hivernages. Le trait noir montre l'itinéraire suivi pour le retour au cap Evans.
La seconde mission, prévue en cas d'échec de la première, prévoyait de se diriger au nord de McMurdo pour explorer les côtes de la Terre Victoria. Pour cela, après avoir franchi le cap Adare vers l'ouest, la Terra Nova déposera l'équipe Campbell dans la baie Robertson pour l'hivernage. A la fin de 1911, l'équipe effectuera l'exploration de la baie Robertson, rejoindra le cap North et essayera de gagner le plateau de la Terre Victoria (Cf carte) avant d'être récupérée par la Terra Nova en janvier ou février 1912. Tel était le plan du voyage.
Mais divers imprévus vont entraîner Campbell et ses compagnons dans une toute autre aventure.
Rencontre avec Amundsen 4 Février 1911
Le 25 Janvier 1911, la Terra Nova quitte la baie de McMurdo et met le cap à l'est pour réaliser son premier objectif. Elle longe la Barrière de Ross, passe au large de la baie des Baleines et suit la côte de la Terre du Roi Édouard VII (Cf carte) sans découvrir la moindre baie permettant un débarquement. Suivant les instructions de Scott, le navire revient donc vers l'ouest en direction de la Terre Victoria, passant une seconde fois devant la baie des Baleines.
C'est ici que le 4 février 1911, les Anglais ont la surprise de découvrir le Fram d'Amundsen accosté à la Barrière de Ross ! Rencontre cordiale des deux commandants de navires, Henry Pennell et Thorvald Nilsen. Les Anglais vont visiter Framheim dont les Norvégiens terminent l'installation et sont très impressionnés par le nombre de chiens.
Le Fram, au premier plan, et la Terra Nova, au fond à gauche, dans la Baie des Baleines - 4 février 1911.
Débarquement dans la baie Robertson -18 Février 1911.
Ils invitent les Norvégiens à dîner sur la Terra Nova puis ils se séparent, chacun souhaitant bonne chance à l'autre dans ses projets vers le Pôle.
La Terra Nova regagne Hut Point le 8 février. Campbell laisse une lettre à l'intention de Scott pour l'informer du résultat de sa première mission et lui annoncer une bonne nouvelle : les Norvégiens sont installés à la baie des Baleines avec plus de 100 chiens !
Le 9 février, Campbell et ses équipiers quittent Hut Point à bord de la Terra Nova pour remplir leur seconde mission. Le navire file vers le nord et le cap Adare (Cf carte) mais une longue période de vents violents retarde leur navigation et 'ils ne rejoignent la côte nord de la Terre Victoria qu'une semaine plus tard.
Campbell découvre que cette côte est formée de hautes falaises et de glaciers sans le moindre emplacement possible pour accoster et établir un camp. Toujours à bord de la Terra Nova, il gagne alors la baie Robertson, sur le versant ouest du cap Adare.
Il pense que c'est un mauvais emplacement qui ne peut pas servir de point de départ pour remplir sa mission qui est, rappelons-le, de gagner le cap North et d' explorer l'intérieur de la Terre Victoria . Mais la saison avance, il n'a pas le choix et doit impérativement débarquer pour construire sa hutte d'hivernage.
Le 18 février 1911, la Terra Nova dépose Campbell et ses équipiers dans la baie Robertson.
De hautes falaises et des glaciers.... Baie Robertson - Mars 1911
Tandis que l'équipage de la Terra Nova regagne le navire, Campbell et ses 5 compagnons demeurent au camp de la baie Robertson - 20 Février 1911.
Le premier hivernage Baie Robertson - Mars à Septembre 1911
Ils établissent alors leurs quartiers d'hiver à proximité de l'emplacement où Borchgrevinck et l'expédition du Southern Cross ont effectué le premier hivernage antarctique au cours de l'hiver 1900. Avec l'aide de l'équipage du navire, le débarquement est effectué en deux jours et, le 20 février 1911, la Terra Nova quitte l'Antarctique pour la Nouvelle-Zélande. Elle reviendra en janvier 1912 récupérer l'équipe Campbell. Début mars, la hutte est achevée, elle est confortable, les vivres sont abondants et l'hivernage va se dérouler sans histoire.
Au cours du mois d'août, Campbell effectue deux sorties d'abord au cap Adare puis, vers l'ouest, dans la baie Robertson. Il constate la présence de nombreuses zones d'eau libre.
Un blizzard côtier fracture la banquise, rendant la côte impraticable et un voyage vers l'ouest impossible.
A travers la baie Robertson Octobre 1911
Malgré cette situation, l'expédition prépare des luges pour partir vers l'ouest en espérant un changement des conditions. Le départ a lieu avec des skis le 4 octobre 1911. L'équipe Campbell longe la côte vers l'ouest et tente de rejoindre le cap North mais elle est repoussée par une glace très mince et des espaces d'eau libre. Ils reviennent alors vers l'est à skis et regagnent leur hutte de la baie Robertson le 20 octobre.
Au cours de cette exploration, le groupe découvre sur la côte une grotte naturelle creusée dans la roche, ce sera Pénélope Point. Ils s'abritent à l'intérieur et installent un de leurs camps à l'entrée; bon entraînement pour la suite.
La hutte de l'expédition dans la baie Robertson. Campbell et ses 5 compagnons vont y passer 10 mois de Mars à Décembre 1911.
Une glace très mince et des espaces d'eau libre - Baie Robertson, Octobre 1911.
Levick devant la tente à l'entrée de la grotte à Pénélope Point - 15 Octobre 1911.
Une succession de glaciers et de falaises infranchissables ......
A la suite de ce voyage, Campbell estime impossible de remplir la mission que Scott lui a confiée car il ne peut ni atteindre le cap North sur une glace très mince, ni gagner le plateau de la Terre Victoria car la côte présente une succession de falaises et de glaciers infranchissables.
Retour à l'hivernage Novembre-Décembre 1911
Puisqu'il n'existe aucune possibilité d'exploration depuis son camp de la baie Robertson, Campbell décide de tenter sa chance sur la côte est de la Terre Victoria, 400km au sud, à proximité de l'Ice Tongue Drygalski. Pour cela, il doit attendre le retour de la Terra Nova en espérant que le bateau pourra transporter toute l'équipe là-bas.
Il va donc se résoudre à passer les mois de novembre et décembre autour du cap Adare et de la baie Robertson en attendant le retour de la Terra Nova.
Exploration en Terre Victoria Janvier-Février 1912
Comme prévu, celle-ci arrive le 4 janvier 1912 dans la baie Robertson pour récupèrer l'escouade qui vient de passer 10 mois dans sa hutte. Campbell informe le commandant Pennell de la situation et celui-ci va déposer toute l'équipe au voisinage de l'Ice Tongue Drygalski. 4 jours plus tard, Campbell débarque à Evans Coves (Cf carte), un peu au nord de l'Ice Tongue Drygalski, dans la baie de la Terra Nova.
L'expédition dispose maintenant de 6 semaines pour explorer le rivage, les glaces côtières et les glaciers descendant du plateau de la Terre Victoria avant le retour de la Terra Nova prévu le 18 février.
Les hommes sont bien équipés avec des vivres, tentes, traîneaux, vêtements, carburant et réchauds en quantité suffisante mais ils n'ont pas de hutte d'hivernage pour ce qui devait être un court séjour estival.
Carte montrant le site de l'expédition dans la baie de la Terra Nova. On voit le glacier Campbell, le glacier Boomerang, le glacier Priestley et le lieu du débarquement à Evans Coves. Le dépôt de l'expédition était à Hell's Gate et la grotte d'hivernage à Inexpressible Island.
Sur le glacier Priestley - Janvier 1912
Il n'y a pas de temps à perdre et dès le lendemain de son arrivée, l'expédition quitte son camp de Evans Coves pour explorer la côte et les glaciers situés au nord de l'Ice Tongue Drygalski. A partir du 9 janvier et jusque vers le 15 février, les 6 hommes, ensemble ou divisés en 2 groupes de 3, vont parcourir des glaciers inconnus en collectant des échantillons de roche (Priestley est géologue) ou parfois de lichens.
Ils ne parviennent cependant pas à gagner le plateau dont les glaciers sont issus, repoussés par des crevasses ou des chutes de séracs.
Le 15 février, le groupe regagne Evans Coves et se prépare pour le départ sur la Terra Nova. A partir du 16 février, Campbell et ses compagnons guettent l'arrivée du bateau prévue, on le rappelle, le 18 Février.
La survie et le second hivernage Mars à Septembre 1912
C'est à partir de ce moment que l'expédition, qui se déroulait jusque là dans une certaine sérénité, va basculer dans une longue et très difficile situation de survie.
Le 20 février, la Terra Nova n'est pas là et le petit souci qui commence à habiter le groupe se transforme peu à peu en vive inquiétude au fil des jours qui passent sans voir arriver le bateau, puis en angoisse profonde au début de mars. Vers le 10 mars, ils ont compris: Sans doute en raison de l'état des glaces, la Terra Nova ne pourra pas venir les chercher ! Un hivernage sévère de 6 mois, suivi d'une marche de 500km les attend avant de rejoindre le cap Evans !
La Terra Nova ne viendra pas !
La situation des 6 hommes est très grave. Nous sommes le 10 mars, l'hiver approche, les températures vont chuter au-dessous de -40°C et la nuit polaire va s'installer pour 3 mois. Ils n'ont aucun abri, des vivres insignifiants, des vêtements en loques, des tentes déchirées et bien évidemment aucun moyen de communication ni secours à attendre.
S'ils ne parviennent pas très rapidement à se nourrir et à se protéger du vent et du froid, ils sont perdus. Mais ils forment une équipe très solide qui va lutter, car il existe un espoir : chasser les phoques et les manchots pour se nourrir et creuser une grotte dans la neige pour s'abriter. C'est à ces deux tâches qu'ils vont maintenant consacrer toutes leurs forces.
Dès le 10 mars, l'expédition commence à se préparer pour un hiver qui va durer 6 mois et sera suivi par 2 mois de marche à pied .
Après une inspection des environs de Hell's Gate où se trouve leur dépôt, Campbell et ses équipiers choisissent une congère bien compacte située sous le vent d'une petite colline à 2km du dépôt pour installer l'abri hivernal de l'expédition. Ils commencent à creuser un tunnel à l'aide des 2 piolets de Priestley et, après quelques heures de travail, obtiennent une cavité d'où ils peuvent continuer à progresser sans souffrir du blizzard.
Du côté des vivres, ils ont déjà abattu 120 manchots et 11 phoques ce qui est insuffisant pour passer l'hiver, même avec des demi-rations. Il faudra plus de phoques ce qui devient difficile car ceux-ci ne se montrent plus guère avec l'arrivée de l'hiver.
L'entrée de la grotte vue de l'extérieur avec le bambou pour retrouver l'entrée après le blizzard.
L'abondance des manchots et des phoques a permis à l'équipe Campbell de survivre.
En plus du produit de la chasse, l'expédition dispose de 6 caisses de 20kg de biscuits; 2 caissses sont conservées pour le voyage de retour. Le thé est servi une fois par semaine, les 6 autres jours, on fait rebouillir les feuilles utilisées ou l'on boit de l'eau chaude.
La réserve de vivres renferme 3 produits de luxe : un sac de raisins conservé afin d'avoir 25 raisins secs pour les jours fériés et les anniversaires; une barre de chocolat une fois par semaine et 8 morceaux de sucre le dimanche (rations pour 6 bien évidemment).
Il est décidé de ne pas servir les produits de luxe tant que l'installation de la grotte n'est pas achevée et jusque là, le petit déjeuner et le diner se résument à une tasse de bouillon à la graisse de phoque, un biscuit et une tasse de chocolat bien claire.
Le vent violent et froid est permanent, le travail des hommes aussi. Ils doivent à la fois chasser, transporter les équipements et provisions depuis le dépôt jusqu'à la grotte et surtout manier la pelle et le piolet pour agrandir et aménager la grotte. L'équipe commence aussi à mettre au point une lampe à la graisse de phoque car la grotte es évidemmentt obscure !
A partir du 17 mars commence le transport dans la caverne du matériel demeuré au dépôt. Le trajet de 2km est effectué par l'équipe à travers un chaos de gros rochers, avec des chaussures en lambeaux. De plus, les rafales de vent font voler des graviers de sorte que les chutes sont nombreuses. Par chance, personne n'est blessé et le 18 mars, ils passent leur première nuit dans la hutte, enfin à l'abri du vent mais pas encore du froid.
Phoque de Weddell sur la banquise antarctique. Ces phoques de grande taille pèsent souvent plus de 300kg.
Photo de la grotte prise de l'intérieur vers l'extérieur avant la mise en place de la porte et de l'isolation. C'est dans cette grotte creusée dans la neige et la glace que Campbell et ses 5 compgnons ont passé 6 mois de Mars à Septembre 1912.
Le 19 mars, la tempête gronde mais la grotte atteint une taille permettant aux 6 hommes de demeurer à l'abri. Les jours suivants sont consacrés à l'amélioration de la hutte qui est en fait une caverne creusée dans une congère de neige avec un toit d'environ 1m d'épaisseur. Les murs et le sol sont en glace. La neige étant un meilleur isolant que la glace, on met des cubes de neige contre les parois de glace et on bouche les espaces entre la neige et glace avec des algues. Pour le sol, une couche de petits graviers sur la glace, le tout recouvert d'algues avec les toiles de tentes étalées au-dessus; le grand confort !
A la fin du mois de mars, l'équipe tue plusieurs phoques. Chaque fois, on découpe le coeur, le foie et les rognons puis la viande et enfin la graisse et la peau. Tout est ramené à dos d'homme autour de la hutte. La tête est également intéressante car elle contient une grande friandise : la cervelle ! L'estomac n'est pas négligé. Si le phoque a mangé quelques poissons, on les récupère dans son estomac afin de préparer une friture à la graisse de phoque qui varie les menus.
Coupe de la grotte extraite du livre de Priestley (Cf bibliographie).
Plan de la grotte extrait du livre de Priestley (Cf bibliographie).
Au début d'avril, la hutte est bien installée et ils tuent encore 3 phoques ce qui assure leur nourriture jusqu'à la fin de l'hivernage. Pour fêter cette nouvelle, un biscuit supplémentaire est distribué. L'équipe maîtrise bien le réchaud fabriqué avec une vieille boîte de conserves, des os de phoque, un éperon de marlin et alimenté à la graisse de phoque. En plus, ils ont récupéré la paraffine laissée par le navire; elle sert à préparer le petit déjeuner sur le réchaud Primus à condition d'avoir fait fondre de la neige la veille au soir. Plusieurs hommes sont maintenant atteint de dysenterie.
En avril, la routine s'installe. La cuisine est faite en binôme à tour de rôle. Le petit déjeuner est servi au lit et suivi d'une sieste jusqu'à 10h½ avant de commencer à travailler.
Le manchot empereur est le plus grand de tous les manchots. Sa taille peut dépasser 1m et son poids atteindre 40kg. Avec les phoques, ils ont constitué l'essentiel de la nourriture de l'équipe Campbell de Mars à Septembre 1912.
Le cuisinier fait fondre de la graisse pour les lampes pendant que son assistant attaque la viande de phoque congelée au piolet. Les 4 autres vont chercher des phoques ou transportent de la graisse et de la viande.
Vers la fin du mois d'avril, le vent condamne l'équipe à passer ses journées dans les sacs de couchage. Le 5 mai, le soleil disparaît; on le reverra dans 100 jours, le 12 août. Un vent violent contraint les 6 hommes à demeurer dans leur hutte durant tout le mois de mai.
Le 25 mai, une congère a bloqué le tunnel d'entrée de la hutte; la fumée du poêle devient insupportable et il doit être éteint. Ne parvenant plus à faire fonctionner le réchaud ni même à craquer une allumette, ils réalisent enfin qu'ils n'ont plus d'air.
Campbell sort rapidement dans l'obscurité, récupère difficilement une pique de bambou et perce un trou dans la neige afin d'aérer l'intérieur de la hutte ce qui soulage ses compagnons au bord d'une asphyxie totale.
Un mois plus tard, l'équipe fête le milieu de l'hiver.
Le 5 juillet, à la suite d'une tempête, le refuge est à nouveau bloqué par une congère et les occupants doivent monter la garde à tour de rôle toute la nuit pour éviter le pire. La fumée rend l'atmosphère intérieure irrespirable ce qui conduit à utiliser le Primus et le précieux stock de combustible.
La tempête a amélioré l'isolation de la hutte mais a enfoui le dépôt de viande. Les hommes vont pelleter une semaine pour le retrouver.
En août, après une ultime modification de la hutte, ils ont maintenant trop chaud et songent à leur départ. Dans ce but, Campbell et ses amis font des séances d'exercices afin de remuscler leurs jambes, dégagent les traîneaux, fartent les patins, rassemblent les échantillons de roches et les vivres. Début septembre cependant, l'état de santé de Browning, malade depuis plusieurs semaines, devient préoccupant et on le met au régime «Manchots» car la viande de phoque aggrave son état.
L'équipe Campbell en baie Robertson - Octobre 1911
Après plus de 6 mois passés dans la grotte. De G à D : Abbott, Campbell et Dickason - Septembre 1912
Enfin, le 30 septembre 1912 à 18h30', après 7 mois passés ici en mangeant du phoque bouilli et du manchot frit au fond d'un trou sombre et sale, ils sont partis ! La première étape s'achève à 1 mile seulement du départ mais ils sont très heureux d'être enfin sortis de leur grotte. Campbell va maintenant longer la côte est de la Terre Victoria en suivant l'itinéraire de l'expédition Shackleton au Pôle Sud Magnétique de 1909 (Voir le récit sur ce site).
L'équipe a 2 traîneaux que les 6 hommes tirent à tour de rôle. Ils n'avancent pas vite à cause des crevasses franchies encordés, des congères et de l'état de santé de Browning mais, à partir du 10 octobre, le temps s'améliore, ils accélèrent et l'Erebus est bientôt en vue.
Ils franchissent l'Ice Tongue Nordenskjöld une semaine plus tard mais Browning est de plus en plus malade.
Le 29 octobre, Priestley et Campbell aperçoivent une tige de bambou et découvrent un dépôt de provisions laissé ici par le groupe parti explorer cette partie de la côte. Ils hurlent de joie, décident de camper sur place avec un dîner de luxe et prennent un jour de vacances !! Dès le lendemain, avec le régime biscuits-thé chaud, Browning commence à se rétablir et l'équipe avance rapidement de sorte que le 6 novembre, tout le groupe Campbell est à Hut Point. Il n'y a personne dans la cabane mais une lettre d'Atkinson leur apprend la perte de l'équipe partie vers le Pôle dont ils ignorent les noms.
Après 6 mois passés dans la grotte De G à D : Priestley, Levick et Browning - Septembre 1912
L'équipe Campbell à son retour au cap Evans après le bain. De G à D: Dickason, Abbott, Browning, Campbell, Priestley et Levick 8 Novembre 1912.
Le lendemain 7 novembre 1912, à 17h, Campbell et son équipe arrivent au cap Evans. Une lettre sur la porte leur donne toutes les nouvelles et les noms du groupe disparu. Peu après, Debenham et Archer reviennent et le groupe Campbell est chaleureusement accueilli. Bains, somptueux diner, vêtements propres, ils ont réussi leur survie.
Par la suite, l'équipe Campbell va se rétablir au cap Evans tandis que tous les autres sont partis à la recherche des corps des disparus qui seront découverts le 12 novembre. Le 25 novembre, Atkinson, Cherry-Garrard et Demitri regagnent le cap Evans avec tous les documents trouvés dans la tente de Scott, Bowers et Wilson.
Après un mois de repos au cap Evans, le géologue Priestley accompagné de Hooper, Gran, Abbott et Dickason dirige une petite expédition en direction de l'Erebus dont la première ascension avait été réalisée lors du voyage de Shackleton en 1909.
L'équipe Priestley explore les flancs du volcan au début de Décembre et collecte de nombreux échantillons, Priestley et Gran effectuant l'ascension du cratère sommital, actif à cette époque.
Peu après celle-ci, Gran revenu seul au sommet récupérer une boîte de photos, est pris dans une petite explosion dont il parvient à réchapper.
Le 18 janvier 1913, la Terra Nova est au cap Evans et ramène l'ensemble de l'expédition en Nouvelle-Zélande où elle parvient le 12 Février 1913, apprenant au monde la fin de l'expédition au Pôle Sud.
Le versant ouest de l'Erebus extrait des clichés de Ponting
Bibliographie
La plupart des photographies en noir et blanc figurant dans cet article sont extraites des éditions originales des livres publiés peu de temps après le retour de l'expédition. Ces ouvrages ont maintenant plus de 100 ans et, au fil des ans, ceux en bon état deviennent rares et chers. Il existe de nombreuses rééditions à des prix très abordables mais elles ne contiennent généralement que quelques photos ou parfois aucune photo. On peut se procurer les éditions originales et les rééditions sur Internet. Voir par exemple : http://www.abebooks.fr
Scott's Last expedition (2 volumes). Récit complet de l'ensemble de l'expédition de la Terra Nova avec 260 photographies pleine page. Le livre contient le récit de l'expédition rédigé par Scott jusqu'à sa mort, tiré des carnets retrouvés dans sa tente. Il contient également le récit de Cherry Garrard, Bowers et Wilson de la célèbre expédition au cap Crozier à la recherche des oeufs de manchots, le récit de Priestley de l'ascension du volcan Erebus, le récit du voyage au nord écrit par Campbell, le récit du voyage à l'ouest de Griffith Taylor ainsi que les voyages maritimes de la Terra Nova et les deux hivernages. Londres, Smith et Elder (1913) puis John Murray (1914) éditeurs.
Capitaine Scott: Le Pôle meurtrier: Journal de route du Capitaine Scott. Livre en français du carnet de route retrouvé après la mort de Scott. Paris, librairie Hachette éditeur, 1914.
Apsley Cherry-Garrard: The worst journey in the world (2 volumes) : Seul rescapé du voyage d'hiver au Cap Crozier, Cherry-Garrard faisait partie de l'équipe qui a retrouvé les corps de Scott, Bowers et Wilson en novembre 1912. Son récit sobre, respectueux et précis est essentiel à l'histoire de l'expédition. Londres, Constable éditeur, première édition de 1922.
Apsley Cherry-Garrard : Le pire voyage au monde. Traduction française de l'édition originale anglaise. Paris, éditions Paulsen, 2008.
Raymond Priestley : Antarctic Adventure - Scott's Northern Party. Priestley était géologue. Il a participé au voyage vers le Nord dont il fournit un récit détaillé complet avec de nombreuses photographies. Priestley a aussi effectué l'acension de l'Erebus au retour du voyage vers le Nord.
Tryggve Gran : The Norwegian with Scott - Antarctic Diary 1910-1913. Gran était norvégien et avait été engagé par Scott pour s'occuper des chiens de traîneaux.
Herbert Ponting: With Scott to the Pôle. Ponting était le photographe de l'expédition. Cet album de photos montre ses meilleurs clichés restaurés. Allen Unwin éditeur, 2004.
Peter King : Scott's last journey. Récit moderne et critique de l'expédition Scott au Pôle Sud. Analyse des causes de l'échec et de la mort de Scott et de ses compagnons. Intéressantes photographies de l'époque.
William Lashly : Under Scott's command. Lashly's Antarctic diaries. Il s'agit du journal de William Lashly qui a accompagné Scott jusqu'à moins de 300km du Pôle avant de revenir au camp de Hut point avec Crean et Teddy Evans. L'édition originale publiée en 1936 par l'Université de Reading est introuvable mais elle a été rééditée. Londres, Victor Gollancz éditeur, 1969.
Capitaine Edward Evans : South with Scott. Récit de l'ensemble de l'expédition par le Capitaine Evans qui, avec Lashly et Crean, accompagna Scott jusqu'à moins de 300km du Pôle et revint avec eux à Hut Point. Evans était aussi commandant en second de l'expédition. Londres, Collins éditeur, 1921.
Nous utilisons des cookies pour analyser l'audience de notre site. En aucun cas Pukayak n'utilisera ces données pour des actions promotionnelles.AccepterRefuserEn savoir plus