La traversée Arctic Bay - Pond Inlet Juillet - Août 1997
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En ce printemps 1997, c’est une bien curieuse équipe de 3 personnes qui se prépare à partir en Terre de Baffin pour une grande traversée en kayak de mer.
Tout d’abord, il y a Paule. A 35 ans, Paule est une fille aquatique. Eminente plongeuse sous-marine, kayakiste distinguée, amoureuse de l’eau sous toutes ses formes, elle ne peut pas voir une rivière ou une flaque d’eau sans piquer une tête quelle que soit la saison. Nager au milieu des icebergs ou dans un lac de montagne en décembre, rien ne l’effraie. Elle fait aussi du ski de rando mais sa passion, c’est l’eau et le Nord. Elle est la plus expérimentée de l'équipe pour avoir déjà navigué en kayak au milieu des glaces sans avoir cependant effectué un raid de grande envergure comme la traversée Arctic Bay – Pond Inlet.
Béatrice, la quarantaine, est du même type. Monitrice de plongée sous marine, véliplanchiste et surfeuse confirmée, c’est une habituée des piscines et elle nage comme un poisson. Bien sûr, elle fait aussi du tennis et du ski de rando avec ou sans pulka, mais elle aime l’eau et le Nord. Elle a passé quelques week-ends sur un kayak de mer mais n'a jamais navigué au milieu des glaces ni vu un iceberg de sa vie.
Le troisième, c’est moi, Marc, la soixantaine bien sonnée. Je suis avant tout un terrien, un montagnard. Alpiniste et grimpeur dans ma jeunesse, randonneur par la suite, ma passion, c’est le ski : le ski de rando bien sûr, mais aussi le grand raid avec pulka et le ski nordique. Ma passion pour le ski n’a d’égale que ma profonde aversion pour l’eau et tous les sports aquatiques. Malgré plusieurs tentatives courageuses, je n’ai jamais réussi à apprendre à nager, je ne vais jamais à la piscine et la simple évocation de la plongée sous-marine me remplit d’effroi. J’ai peur de l’eau, elle me glace, et même aux Indes en juillet, je ne peux pas prendre une douche froide. De plus, je suis incapable de me servir d’un bateau, la direction à prendre en fonction des vents étant pour moi remplie de mystères. Quant aux subtilités des courants marins, de la houle, du ressac ou des marées, elles m’échappent totalement. Inutile de préciser que je ne suis jamais monté dans un kayak.
Mon ignorance des choses de la mer étant bien connue, c’est avec étonnement qu’un beau jour d’avril 97, je vois débarquer Paule et Béatrice qui viennent me proposer de les accompagner faire une virée en kayak de mer. Il ne s’agit pas du tout d’effectuer un petit tour d’initiation de 3 jours dans le Marais Poitevin. Non, elles ne me proposent rien de moins que de suivre la côte nord de la Terre de Baffin entre les villages d’Arctic Bay et de Pond Inlet, distants de 500km. Les bras m’en tombent !
Au début, j’ai cru à une blague, une plaisanterie, une manière de se moquer de moi et de ma peur de l’eau. L’effet de surprise passé, réalisant que la proposition était sérieuse, j’ai cherché à savoir d’où venait une idée aussi folle.
De Jean-Luc Albouy me disent-elles. Il a fait cette traversée avec Nicole. Il nous a dit que c’était super, qu’il fallait absolument y aller et que tu devrais venir avec nous. J’ai compris, mais Jean-Luc ignore sans doute que je ne sais même pas nager ! Aussi, après avoir rappelé mon incompétence maritime, j’ai refusé sans détour. Mais les femmes sont têtues et un dialogue s’engage:
Préparatifs tranquilles à Arctic Bay.
-- Tu connais pourtant bien la Terre de Baffin où tu as fait plein de raids à skis avec ta pulka, tu ne veux pas voir la mer quand elle n’est pas gelée ? Tu rates quelque chose.
-- Je n’ai jamais vu un kayak de mer, je n’ai pas la moindre idée quant à la manière de s’en servir, je serai un vrai boulet, je ne viens pas.
-- Mais peu importe que tu ne saches pas te servir d’un kayak, nous serons là pour ça. Et puis tu sais, un raid en kayak, c’est la même chose qu’un raid en pulka. Il faut préparer le matériel et la nourriture, monter et démonter le camp tous les jours, s’orienter, maîtriser le réchaud à essence et tout ça, tu sais très bien le faire.
-- Je ne sais pas nager, si le kayak se retourne, je périrai noyé.
-- Mais nous aurons des kayaks Nautiraid parfaitement stables, et tu auras un gilet de sauvetage qui t’empêchera de te noyer. Nous nageons très bien toutes les deux et nous irons te chercher.
-- En plus, j’ai peur de l’eau et je crains le froid.
-- Tu ne vas tout de même pas nous faire croire que tu vas avoir froid alors que tu as tiré ta pulka par 35° au-dessous de zéro sans aucun problème.
-- Mais je ne saurai pas diriger le kayak, ni accoster, ni démarrer.
-- Aucune importance, tu seras sur un kayak biplace avec Béatrice et c’est elle qui le dirigera, tu n’auras rien d’autre à faire que de pagayer.
-- Justement, je n’ai jamais pagayé.
-- C’est extrêmement simple, au bout de dix minutes tu auras compris.
Elles insistent fortement, je commence à être ébranlé, l’idée d’aller faire un raid en kayak fait son chemin et je demande un délai de réflexion. Quelques jours plus tard, elles reviennent à la charge.
Pause sur la plage dans Admiralty Inlet.
-- Alors, tu es sûr que tu ne veux pas venir à Baffin ?
Sentant mon hésitation, elles tirent de nouvelles salves.
-- Toi qui aimes la nature, tu verras plein de bestioles : des renards, des phoques, des narvals, des milliers d’oiseaux et même des baleines.
-- Je ne me vois pas assis sur un kayak au ras de l’eau à côté d’une baleine.
-- Et puis, il y a des ours, il faut un fusil et savoir tirer. Nous n’avons jamais tiré une cartouche de notre vie mais toi, tu as fait ton service militaire, tu sais tirer et tu nous défendras contre les ours.
-- Je n’ai pas de fusil.
-- On va t’en trouver un, j’ai un ami qui me prêtera le sien.
-- De plus, je suis maintenant un peu âgé pour ce genre de voyage.
-- Mais pas du tout, on t’a vu galoper cet hiver avec tes skis, tu es tout à fait capable.
Elles ont réponse à tout. Je me dis alors que si elles insistent autant, alors qu’elles connaissent parfaitement mon incompétence sur l’eau, c’est que cette expédition est possible pour moi. Mon goût de l’aventure l’emporte, j’y vais, mais je suis très inquiet.
Les préparatifs commencent. Au début, c’est du classique: billets d’avion, liste de nourriture, courses au supermarché, achat des cartes, formalités pour le fusil etc... Un kayak monoplace pour Paule et un biplace pour Béatrice et moi sont loués chez GNGL, pliés et mis en caisse. Finalement, tout est prêt et le 23 juillet 1997, on part. Direction Londres où l’on doit prendre un avion pour Toronto.
Le départ est mouvementé. Après être allés à Roissy comme l’indiquait notre billet, nous découvrons que l’avion part d’Orly! Stupeur. En fait, dix jours avant le départ, l’agence a changé nos réservations à notre demande, mais a oublié de nous dire que l’aéroport de départ avait été modifié. Les avions ne sont pas complets et tout finit par s’arranger, on partira de Roissy puisqu’on y est ! Au milieu d’angoisses concernant nos bagages, après un sprint à Toronto suivi d’une nuit blanche à l’aéroport d’Ottawa, on parvient à embarquer pour Arctic Bay, après avoir largué 100$ chacun pour cause d’excédent de bagages. Au moins, les colis sont là.
Arrivés à Arctic Bay, un taxi nous transporte avec armes et bagages, c’est le cas de le dire puisqu’on a récupéré le fusil, jusqu’à la plage où le camp est prestement installé. Les deux jours suivants se passent à dormir et à faire le tour des épiceries du village pour acheter des vivres, afin de compléter ceux amenés depuis la France. On ne trouve évidemment pas nos marques de biscuits et de chocolat préférées, mais enfin, on survivra. Un petit tour à la pompe à essence locale pour l’alimentation du réchaud et tout est prêt.
Ces questions d’intendance sont classiques et ne m’impressionnent pas du tout. Par contre, quand Béatrice m’annonce qu’il va falloir donner 160.000 coups de pagaie pour atteindre Pond Inlet, je me demande dans quelle aventure je me suis lancé, moi qui n’ai jamais donné un seul coup de pagaie de ma vie.
Nous sommes prêts pour l'arrivée des ours.
Il est temps maintenant de monter les kayaks. Durant cette opération complexe, je tiens le rôle du manoeuvre non qualifié, essayant de faire ce qu’on lui dit. J’entends alors parler de choses bizarres dont j’ignorais l’existence : hiloire, jupe, couple, bout, bande d’échouage, gouvernail, ligne de vie et bien d’autres. Mes coéquipières semblent maîtriser la situation et après trois heures d’efforts ponctuées d’abominables jurons, les kayaks sont déclarés bons pour le service.
Il me semble que notre chargement ne pourra jamais rentrer dans les kayaks, mais Paule est confiante. Le lendemain, nous passons 4 heures à charger les kayaks, opération interdite aux obèses claustrophobes car il faut ramper à l’intérieur du kayak ce qui nécessite une certaine souplesse. Par chance, Paule et Béatrice n’en manquent pas, ce qui est de bon augure pour l’avenir. Quant à moi, mieux vaut ne pas tenter l’aventure. Tout ce qui n’a pu rentrer à l’intérieur des kayaks est installé à l’extérieur et il paraît que nous sommes prêts à partir.
Nous faisons un test de l’alarme à ours constituée d’un fil électrique entourant la tente. Si un nounours touche le fil, une alarme sonore alimentée par une batterie se déclenche. Noter que l’alarme peut aussi être déclenchée par le vent ou par une fausse manoeuvre d’un occupant de la tente ce qui n’a pas manqué de se produire ! Mais l’installation du fil est longue et compliquée, ce qui nous incitera parfois à négliger cette précaution.
En ce 28 juillet, le ciel est gris mais il n’y a pas de vent, la mer est calme, la baie est libre de glaces et vers 15h, on met les kayaks à l’eau pour le grand départ. Je pensais alors qu’à l’image d’une course en montagne, le chef était placé devant et le client derrière. Je m’installais donc à l’arrière du bateau, laissant à Béatrice la place du chef à l’avant. Elle m’explique alors qu’un kayak n’est pas une cordée et qu’ici, c’est l’inverse, le client est devant et le chef derrière. Histoire de gouvernail parait-il. Décidément, les marins font tout à l’envers des autres. Nous sommes donc partis. Un coup à gauche, un coup à droite et on recommence. Nous progressons sur une mer d’huile, mais après être sortis de Victor Bay, il va falloir traverser le Strathcona Sound, large de 10km. Nouvelle découverte; je pensais qu’un kayak suivait toujours la côte sans trop s’en s’éloigner, mais ici nous partons à plusieurs kilomètres au large. Au milieu du Strathcona, une ourse et ses deux oursons nous rejoignent et nagent près de nous. Fabuleuse vision.
Marc monte la garde.
Il fait froid, il pleut et le vent se lève sérieusement. Nous rejoignons la côte à la sortie du Strathcona, transis et trempés, après avoir parcouru 24km ce qui n'est pas mal du tout pour mon premier parcours en kayak de mer. Le camp est installé, le diner expédié, et nous sommes trop bien dans nos duvets pour aller installer l’alarme à ours sous la pluie. Le 29 juillet au réveil, un vent de face glacial agrémenté d’une pluie intermittente nous maintient au chaud dans la tente. Dans l’après midi, un sursaut d’énergie nous permet d’installer l’alarme à ours. Les essais de l’alarme finissent par réveiller Paule qui dort sans interruption depuis la veille au soir. Le lendemain, la situation a peu évolué. Vent du nord, pluie, ambiance fraîche et humide. Mes équipières m’expliquent qu’il est hors de question d’espérer progresser en kayak contre le vent, et donc qu’un vent de face conduit à une occupation intensive des sacs de couchage. Après avoir passé deux jours à notre premier camp, je commence déjà à douter du succès de notre aventure. Mais le 31 juillet, un miracle se produit, le vent s’est calmé et il fait beau. Réveil en fanfare et départ rapide. Nous longeons de grandes falaises avec des rochers très colorés et le paysage est grandiose.
Difficile de camper le long des falaises du détroit de Lancaster.
Avec de nombreux phoques, des narvals et des milliers d’oiseaux, on ne s’ennuie pas. Après avoir parcouru 35km et traversé la Baie de Baillarge, nous plantons la tente dans un endroit très agréable avec de l’eau claire. Le kayak de mer commence à me plaire. Pourvu que ça dure. Mais cela ne dure pas. Le début du mois d’août nous a concocté une petite surprise avec une magnifique brume qui masque tout le paysage. Nous partons quand même mais au bout de 6km, nous devons renoncer et installer le troisième camp à cause du brouillard et du vent qui s’est à nouveau levé. Grosse émotion pour moi le lendemain. Beau temps, on part et après avoir franchi Elwyn Inlet sans encombre, nous faisons une pause casse-croûte. Au moment de repartir, une vague de travers arrive lorsque Béatrice monte dans le kayak et comme j’ai fâcheusement donné un grand coup de pagaie quand il ne fallait pas, le kayak chavire à un mètre de la côte tandis que Paule s’esclaffe. En bonne kayakiste, Béatrice empêche notre embarcation de se retourner complètement et la remet dans le bon sens.
J’ai reçu la moitié de la vague sur la tête et nous avons les pieds trempés car les bottes sont inondées. J’avais pourtant bien dit que j’avais horreur de l’eau. Après avoir fait 25km, les tentes sont dressées et, ayant observé des poils d’ours aux alentours, nous installons l’alarme avec soin. Après une inspection des environs à la jumelle, nous sombrons dans un profond sommeil.
Le 3 août, beau temps sans vent. On lève le camp mais la glace bloque toute la côte sur une largeur d’une centaine de mètres. Impossible de franchir cette barrière de glace et d’accoster; les tentes sont donc remontées au même endroit. L’après-midi se passe en promenade le long de la plage, photos et ramassage de bois flotté pour faire du feu.
Impossible de partir.
La journée du lendemain sera la plus originale de l’expédition. Pour résumer: lever à 6h et coucher à 23h pour une distance parcourue de 2km. La bande de glace s’est considérablement élargie au cours de la nuit et il est impossible de partir. Le temps est superbe et nous décidons d’aller visiter un promontoire qui nous cache la vue vers l’est, afin d’examiner la situation des glaces. Très belle balade avec des traces d’ours très fraîches et une famille d’oies sauvages. L’endroit est idyllique et nous décidons d’y déplacer le camp dans l’après-midi. A ce moment, la mer descend, ouvrant des chenaux dans la glace. On plie le camp et on part. Mais peu après, les choses se gâtent sérieusement. Nous sommes entourés par des plaques de glace, Paule est coincée et son kayak manque d’être brisé entre deux glaçons.
L'hiver arrive au mois d'août.
Pour éviter de subir le même sort, Béatrice sort du kayak et saute sur ces morceaux de banquise. Je la suis et nous hissons le kayak sur la glace pour lui éviter d’être écrasé. Il ne reste plus alors qu’à le tirer sur la glace jusqu’à la côte. Paule a beaucoup plus de mal car elle est seule et nous ne pouvons l’aider.
Elle parvient malgré tout à nous rejoindre et, à 9h du soir, la tente est montée. Pluie et neige toute la nuit. Au cours de cette aventure, je me voyais déjà à l’eau mais, une fois les pieds sur une glace solide, tout allait beaucoup mieux. La journée du 5 août se passe sous la tente par un temps exécrable. Nous sommes maintenant partis depuis 9 jours et n’avons progressé que de 90km. A ce train là, nous arriverons à Pond Inlet dans deux mois. Le problème est qu’il nous reste des vivres pour 3 semaines.
Le 6 août, la glace continue de nous bloquer. Dans la matinée, je quitte la tente pour une pause technique lorsque je vois un ours de belle taille à proximité. Retour précipité au camp, alerte des copines et fusil. L’ours est au vent et met assez longtemps à nous voir. Nous marchons vers lui avec le fusil mais il a peur, s’enfuit vers la mer, saute sur un glaçon, plonge et s’éloigne à la nage. Ouf, il est parti ! Nous regagnons la tente lorsqu’un deuxième ours s’approche de nous. Il est sous le vent et nous a flairé. 9 Mais là encore, il prend peur en nous voyant et s’enfuit. Au début de l’après-midi, la glace commence à se disloquer et on part. Heureusement qu'ici, la nuit n’existe pas en été, ce qui permet de naviguer à n’importe quelle heure. Petit rayon de soleil, le paysage est superbe mais nous n’avançons pas très vite. Il faut chercher un passage et parfois prendre pied sur la glace pour tirer le kayak. Emotion en fin d’après-midi. Un ours est sur la plage et se précipite vers nous. Panique à bord car il n’est pas loin. Le fusil est dans un sac étanche fermé par un élastique que Béatrice n’arrive pas à ouvrir. Finalement, l’ours ne bouge pas, je finis par tirer en l’air et il se décide à partir. Bon entraînement, dorénavant le fusil devra être très rapidement accessible. Arrêt vers 10h du soir, montage des tentes, il neige.
Impossible de partir à cause du vent. Nous allons rester 4 jours bloqués par une violente tempête avec des vents de plus de 100km/h. La tente a été soigneusement montée et résiste bien, mais nous devons instaurer un rationnement car nos vivres s’épuisent et nous ne progressons plus du tout. L’ambiance est lugubre et nous désespérons de pouvoir partir un jour. Que se passera-t-il si nous ratons l’avion à Pond comme cela devient de plus en plus probable ? Le 11 août, une lueur d’espoir apparaît car le vent a faibli. Au milieu de la journée, il a même disparu, la mer s’est calmée, départ. Nous pagayons au milieu des glaces, sous le soleil de minuit, lorsqu’un petit bateau à moteur s’approche de nous avec 3 Inuits à son bord. Bonjour, tout va bien ? Oui. Ils avaient compris que la tempête nous avait bloqué une semaine. Après 25km, on plante le camp à l’extrémité de la baie Aqiarurnak. Grand beau temps et mer calme le lendemain. Longue étape le long du détroit de Lancaster où il est difficile de trouver des lieux d’accostage.
Après 7h de pagayage et 40km parcourus, nous sommes un peu fatigués, mais nous ne savons pas que plusieurs jours de repos nous attendent ici ! Camp agréable sur le promontoire du cap Adams, avec une belle vue sur les montagnes enneigées de l’île de Bylot.
Au cap Adams, le vent qui a commencé à souffler hier soir lors de notre arrivée s’est intensifié pendant la nuit. Vent de sud-est à 80km/h le matin. Durant la nuit suivante, très violente tempête, toujours de sud-est. Un rationnement important est instauré car nous ignorons combien de temps nous allons rester ici. Le 15 août, au 3ème jour, nous sommes inquiets pour la tente et construisons un mur en pierres pour la protéger. Forte pluie à l’horizontale. Vers 19h, le vent cesse brutalement. Enfin un peu de calme. Nous envisageons de lever le camp mais, moins de deux heures plus tard, un vent d’ouest tout aussi violent se lève. Je n’avais jamais vu une chose pareille. Un vent de sud-est à plus de 100km/h qui s’arrête complètement et repart une heure après de l’ouest à plus de 120km/h! Au 4ème jour de siège au cap Adams, le vent est si violent que nous sommes couchés à terre. La tente nous inquiète et nous la protégeons le mieux possible en agrandissant le mur de pierres. La mer est déchaînée, impossible de bouger.
Enfin, le 17 août, après 4 jours de tempête, le vent se calme. Départ au petit matin et cap au sud dans Navy Board Inlet. Tout va bien et le courant nous pousse, mais cela ne dure pas. Un vent thermique de sud assez fort se lève et nous contraint à l’accostage. Le vent persiste, le camp est monté mais, par flemme, l’alarme n'est pas installée. Pluie et vent durant la nuit.
Au petit matin, Béatrice est réveillée par un bruit qui ne lui semble pas être causé par le vent. Elle tend l’oreille lorsque quelque chose frotte la toile de tente. Elle comprend tout de suite et hurle: un ours ! Paule gicle de son duvet et voit l’ours s’enfuir vers la mer tandis que je sors avec le fusil. L’ours, terrorisé, nage à perte de vue en direction de Bylot. Du coup, on se prépare et on part. Magnifique famille d’oies sauvages avec la mère et une dizaine de petits qui essaient de la suivre. Ils courent puis essaient de voler et n’y parviennent pas car ils sont encore trop jeunes. Du coup, ils plongent et partent à la nage. Après ces oies pacifiques, un ours énorme est sur la plage. Il nous voit de loin et accourt vers nous. Branle-bas de combat à bord.
Conciliabules.
Nous avons fait beaucoup de progrès pour sortir le fusil depuis le dernier ours. Je voudrais éviter qu’il plonge vers nous et tire en l’air pour le faire partir. Aucun effet. Je tire une seconde fois très bas devant lui car je ne veux surtout pas le toucher, mais simplement le faire partir. Sous l’impact de la balle, des cailloux giclent entre ses pattes et sur son nez. Il prend la fuite, revient vers nous le long de la plage, finit par comprendre que nous ne sommes pas des phoques et se retire tranquillement. Peut-être est-il allé manger le renard que nous avions observé peu avant. Le vent forcit de plus en plus, nous accostons, et ce soir l’alarme sera installée. Après ces émotions et une nuit tranquille, nous émergeons avec un violent vent de sud, évidemment de face. Attente. En milieu d’après-midi, le vent tourne complètement et un souffle glacial vient du nord. Départ. La mer est forte avec des creux de 2m mais pour la première fois, le vent nous pousse. Il forcit et nous surfons sur les vagues. Je n’avais jamais surfé et je trouve cela génial. On monte sur la crête de la vague et on descend de 2m avant de recommencer. En plus, on avance très vite sans trop d’efforts. Mais mes équipières n’apprécient pas du tout. Surfer au vent arrière avec un Nautiraid est paraît-il, très dangereux. Paule est blême, Béatrice ne dit plus un mot, mais moi, avec l’inconscience que me confère l'ignorance, je passe un des meilleurs moments depuis le départ.
Enfin une belle journée !
Un peu de soleil illumine en rose orangé les sommets enneigés de l’île de Bylot voisine, ajoutant encore à la beauté de cette soirée. Après avoir monté le camp, le surf se poursuit le lendemain 20 août et, au final, près de 80km sont parcourus en moins de 2 jours. Au cours de cette seconde journée de surf, nous faisons une pause très agréable chez une famille Inuit vivant toute l’année dans de petites maisons au bord de la mer. Par chance, une grande baleine passe lorsque nous arrivons. Tout le monde vient nous saluer et nous sommes invités dans une maison surchauffée (cela nous change) à boire du thé avec du pain fait maison et du beurre. Ils n’avaient jamais vu de kayak et nous regardent partir avec un brin d’envie (ou d’admiration, on ne le saura jamais).
Le 21 août, le vent de sud-ouest revient. Nous essayons de partir mais au bout de 3km, le vent se renforce et nous sommes contraints de renoncer. Il neige, le temps est exécrable. La journée du lendemain est identique avec départ, puis vent et arrêt après 3km. Mais dans la nuit, une nouvelle et violente tempête survient avec des vents de 120 km/h et une pluie battante. Vives inquiétudes pour la tente qui résiste. Nous avons vraiment une bonne tente !
Au réveil, accalmie avec un vent qui tourne au nord-ouest. Nous repartons tandis que le vent nous pousse à nouveau de sorte qu’au bout de 3h, nous avons fait 26km. Nous accostons dans un mini village Inuit (2 maisons) et installons un camp agréable. Les Inuits nous invitent à nous asseoir un moment dans leur maison et nous font un café chaud très apprécié. Deux familles vivent ici toute l’année. Les hommes chassent, tandis que les femmes sont le plus souvent à Pond Inlet. Le 24 août, nous espérons partir mais le vent encore....
Au début de l’après-midi, Johnny (prénom d’un des Inuits) vient voir son bateau, nous dit qu’il va rentrer à Pond Inlet dans la nuit et nous propose de rentrer avec lui. Nous n’avons plus grand chose à manger et avons déjà raté l’avion. Nous sautons sur l’occasion et le marché est conclu pour 150$. L’après-midi se passe à démonter, sécher et ranger la tente et les kayaks. Nous prenons le café chez la famille de Johnny et, vers 22h, le bateau part vers Pond Inlet.
On ne m'y reprendra pas !
Sur cette barque non pontée, nous passons quatre heures très difficiles, transis et trempés par les paquets de mer qui défilent sur nos têtes. Nous arrivons de nuit à Pond Inlet où Johnny nous invite très aimablement à venir dormir chez lui. L’avion prévu pour notre retour est évidemment parti et nous n’avons pu prévenir personne. Par chance, GNGL veillait. Ne nous voyant pas revenir à Pond Inlet, ils ont compris que nous étions retardés par le mauvais temps et ont modifié notre vol de retour de sorte que nous sommes revenus sans problème. Merci GNGL.
Epilogue
Montagnard et skieur depuis ma petite enfance, j’ai effectué, 20 ans avant ce voyage à Baffin, une petite expédition estivale au Gröenland au cours de laquelle j’ai découvert la pulka. J’ai tout de suite compris tout le parti que l’on pouvait tirer de cette petite luge permettant de partir en autonomie durant des semaines en allant visiter des coins où l’on n’aurait jamais pu aller autrement. Suite à cette découverte, j’ai pu effectuer de nombreux raids à skis fabuleux dans tous les pays nordiques et jusqu'en Himalaya.
Le voyage à Baffin de 1997, malgré des conditions climatiques très médiocres, a joué pour moi le même rôle que l’expédition au Gröenland des années 70, en me faisant découvrir le kayak de mer. Car lui aussi, comme la pulka, permet de visiter des lieux inaccessibles et de voyager dans des endroits de rêve. Et suite à ce voyage, nous avons effectué de magnifiques traversées au Groenland, paradis du kayak de mer. Côte est ou côte ouest, glisser sur une mer d’huile au milieu des icebergs qui se colorent au soleil de minuit, quel bonheur ! Et pour celles ou ceux qui n’ont jamais essayé, allez-y, j’espère vous avoir convaincus qu’il n’est jamais trop tard.
Paule Arnal, Marc Breuil et Béatrice de Voogd ont effectué cette traversée un peu folle du 24 juillet au 25 août 1997.
Cartes
Carte 1 - De Arctic Bay à Elwyn Inlet - Camps 1 à 5.
Carte 2 - De Elwyn Inlet à Navy Board Inlet - Camps 5 à 10.
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